Comme si c'était hier
Ce soir là, elle n'allait pas bien. Elle avait faim mais elle ne pouvait plus manger. Ses ongles étaient striés. Ses yeux avaient perdu de leur éclat. Elle parlait de moins en moins. Il devenait difficile de capter son attention.
Quelqu'un avait du appeler l'ambulance car elle s'arrêta juste en face de notre portail. La sirène s'était éteinte. Dans la nuit, le gyrophare continuait d'éclairer la route.
Ils étaient deux, tirant une civière jusqu'à elle.
Je ne l'ai revu que le lendemain, après l'école.
***
Les après-midi qui se suivirent furent bref. Durant une semaine, quelqu'un venait me chercher ou je demandais à d'autres de me déposer là-bas.
Troisième étage. Chambre 326.
Je la voyais très peu. Plusieurs personnes venait la voir. Il fallait attendre son tour. Alors j'attendais en face de sa porte, assise au sol du couloir. Le temps passait. La porte restait fermée.
Ce soir là,
elle dormait toujours. Je regardais les mouvements réguliers qu'indiquaient la machine à côté d'elle : une ligne, un pic, un creux, une ligne, un pic, un creux, une ligne, un pic, un creux, une ligne, un pic, un creux, une ligne. Sans aucun bruit, deux personnes arrivèrent tirant une deuxième machine. Ils nous demandèrent de bien vouloir sortir. Je leur demandais pourquoi. Une simple visite de routine m'avait on répondu, pour installer la machine au cas où ils en auraient besoin plus tard dans la nuit. Ils avaient dans leurs mains un défibrillateur.
La ligne s'était remise à bouger. Un pic, un creux, une ligne, un pic, un creux, une ligne, un pic, un creux ...
J'ai couru, le plus vite possible. Ma vue se brouillait, je ne voyais plus les escaliers. Peu importe. Il fallait courir, partir le plus loin d'ici. J'ai couru encore. Jusqu'à la route. Là, je me suis assise et j'ai pleuré. Encore et encore. Je sentais les regards autour de moi. Quelle importance.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée assise par terre à regarder les gens entrer et sortir. Une voix familière me dit doucement : "Tu es là, on t'a cherché partout, on va prévenir qu'on t'a trouvé et on va rentrer. Tu viens avec nous." Je les suivais en silence. Sur le trajet du retour, personne ne disait un mot.
***
Je sentais l'eau glisser sur ma peau. Je suis tombée, mes jambes ont fléchis sous le poids de la douleur. J'entendais la voix inquiète de ma grand-mère qui m'appelait. Je ne pouvais pas répondre. Je ne voyais plus rien, tout était flou. Elle est entrée dans la salle de bain, quand elle m'a vu, elle s'est précipitée, elle m'a prise dans ses bras pour me relever. L'eau continuait de couler, elle aussi était trempée maintenant. Je l'entendais pleurer. Elle m'enveloppa dans une serviette et m'aida à m'habiller. Je ne sais pas comment j'ai pu trouver le sommeil cette nuit là.
A 1h15, la porte de la chambre coulissa lentement. "C'est l'heure, ils nous attendent. Tout le monde est déjà là-bas, il ne reste plus que nous." Je regardais la ville endormie au petit matin. Tout semblait si calme.
***
Elle était enveloppée de rubans blancs. Je demandais pourquoi ils avaient fait ça sur son visage, ça lui donnait un air de momie. On me répondit que c'était pour soutenir la mâchoire. Sa main était dure et froide. Ils l'emmenèrent pour la préparer. Nous quittâmes la chambre blanche.
J'ai allumé une bougie en espérant qu'elle pouvait éclairer son chemin. En espérant qu'elle la verrait.
7h. C'était l'heure de partir. Il faisait déjà jour et la bougie commençait à s'éteindre.
Je la revue allongée dans une robe blanche. Sa main demeurait glacée. Il y avait beaucoup de monde autour d'elle. Je n'en connaissait pas la moitié. Ils venaient me voir, je les remerciais d'être venus.
La nuit qui suivit fut douce et chaleureuse. Il n'y avait que quelques personnes proches qui étaient restées. Nous avions ramené des couvertures et discutions de vieux souvenirs. On ne pouvait s'empêcher de sourire en se rappelant les bons moments. La nuit était fraîche. On voulait faire une nuit blanche, au petit matin tout le monde dormait.
Dans la journée, il y eut encore plus de monde. La messe était ennuyeuse. Tous ces gens que je n'avais jamais vu aussi. Ils venaient me voir, je les remerciais d'être venus.
Ils ont mis un tissu blanc par dessus son visage. Je voulais encore la voir. Ils ont abaissés lentement le couvercle et l'ont emmenés à l'endroit où elle devait se reposer.
La voiture était plus loin. A gauche de mon père, ma soeur, je me tenais à sa droite. Je ne voulais pas y aller. J'ai répété encore ces même mots. Puis j'ai levé les yeux au ciel et mes jambes se sont dérobées. Je suis tombée. Quelqu'un m'a relevé et m'a tenu jusqu'à la voiture. Je continuais de répéter encore et encore. Non, je ne voulais pas y aller. Tout était flou. Je n'arrivais plus à respirer. Je voulais me réveiller. Cette douleur dans la poitrine ne pouvait pas être réelle. Il fallait que je me réveille.